Saône-et-Loire - Psychologie « Travailler au bonheur »
le 23/09/2012
à 05:00
par A Paris, Elodie Bécu
Vu 411 fois
« Les émotions
négatives nous maintiennent en alerte et aident à notre survie. Mais
quand elles sont trop nombreuses, elles provoquent une grande
souffrance. »
Photo DR
Photo DR
Être heureux, ça s’apprend. Le psychiatre Christophe André plaide pour une « obstination » au bien-être et livre ses recettes pour rester sereins malgré la crise.
« C’est vrai : notre métier consiste plutôt à soigner les malades, les soulager de la dépression ou des crises d’angoisse. Mais en trente ans de pratique, j’ai appris que la prévention est essentielle en matière de santé mentale. Dans mon service à l’hôpital Sainte-Anne, à Paris, j’essaie d’apprendre aux personnes à aller bien plutôt que d’attendre qu’elles tombent malades pour les soigner : de petits efforts quotidiens peuvent nous aider à vivre plus de moments de sérénité. »
Dans un monde contemporain très dur, la quête de la sérénité n’est-elle pas un précepte un peu naïf ?
« Je ne crois pas. Certes, les états d’âmes positifs, agréables, ne sont jamais faits pour durer, ils ne sont là que par intermittence. Mais l’important c’est qu’ils arrivent. L’équilibre intérieur d’une personne n’est pas lié à l’absence d’émotions négatives mais à un bon rapport entre les émotions positives et négatives, trois positives pour une négative selon les recherches […] De nombreuses expériences sont menées pour découvrir l’impact des émotions sur le cerveau. Dans les laboratoires, on induit des émotions chez les patients en leur faisant lire des livres, écouter de la musique ou regarder des films soit tristes soit gais. On s’aperçoit que l’activité électrique de la zone frontale est modifiée en fonction des émotions ressenties. »
Le cerveau est plus sensible aux émotions négatives, dites-vous, pour une question de survie…
« Les émotions négatives nous maintiennent en alerte et aident à notre survie. Mais quand elles sont trop nombreuses, elles provoquent une grande souffrance qui peut au contraire devenir un handicap […] Pendant longtemps le travail des psychiatres a été de diminuer les émotions négatives. On s’aperçoit aujourd’hui qu’il y existe une autre façon intéressante de procéder : apprendre aux patients à cultiver les émotions positives, à les provoquer. Cette psychologie positive ne s’adresse pas aux malades – que l’on soigne – mais à ceux qui sont en rémission et aux gens “normaux” qui veulent consolider leur équilibre. »
Il faut une pratique du bonheur ?
« Oui ! Il faut une obstination à être heureux. Nous devons dépasser notre paresse. Comprendre intellectuellement un conseil ne suffit pas. Le tout c’est de le mettre en pratique ! Prenons le temps de réfléchir sur nous, de méditer, marchons régulièrement, débranchons d’Internet et du téléphone, tenons un journal intime… C’est notre santé et notre équilibre qui sont en jeu. »
Vous incitez à tenir un journal intime : quels sont les bénéfices de l’écriture de soi ?
« Le psychologue américain James W. Pennebaker a montré les bienfaits de noter tous les soirs pendant un quart d’heure ce qui a été important pour nous dans la journée. Prendre ce temps de rendez-vous avec soi-même et faire l’effort de le transcrire en mots force à clarifier notre intériorité. S’arrêter sur ce qui nous a fait souffrir permet de moins ruminer nos états d’âme. »
Vous parlez de la nécessité de l’acceptation…
« Il est nécessaire d’accepter que les choses aient eu lieu, de les regarder en face, de voir l’impact qu’elles ont sur moi ou sur les autres. Un rapport pacifié au réel permet de se recentrer sur la direction à donner à sa vie. Ce conseil semble évident mais qui le met en pratique ? La plupart du temps nous sommes absents à nous-mêmes parce qu’en toile de fond, nous ruminons tous ces petits dossiers que nous n’avons pas pris le temps de refermer : une dispute au travail, un coup de téléphone qui s’est mal passé… et nous les ruminons parce que nous ne les avons ni affrontés ni acceptés. »
À l’inverse, dîtes-vous, on ne rumine pas assez les petits bonheurs qui nous arrivent…
« Je vous propose un exercice : repenser à trois bons moments de la journée avant de se coucher. Ce n’est pas si facile de le faire régulièrement. Et pourtant c’est important car les dernières idées sur lesquelles vous vous endormez sont celles qui vont tourner dans votre cerveau pendant la nuit. Travailler au bonheur c’est apprendre à voir ce qui va bien dans notre vie. Notre esprit va plus naturellement vers ce qui ne va pas dans le but de le corriger mais c’est important aussi de savourer les petits moments positifs. »
Vous n’aimez pas les “professeurs de bien-être”. Comment vous définissez-vous alors ?
« Je n’aime pas les gens qui disent toujours qu’il faut positiver, que ce qui arrive n’est pas grave, va passer. Cette posture systématique me dérange car elle n’est pas réaliste. Parfois il faut se faire du souci, s’arrêter, regarder ce qui ne va pas, accepter de souffrir. J’espère ne pas être un professeur de bonheur, mais un apprenti militant et lucide. Je parle aussi de l’adversité et de la souffrance car le but n’est pas de ne pas souffrir mais de savoir affronter l’adversité pour ne pas se faire broyer par la souffrance. »
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire