mardi 24 avril 2012

Série Psychologie Positive / Volet 2 - magasine "Ca m'intéresse", février 2012

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 Ça m’intéresse - N°373 Paru le 22 février 2012
Nouvelle série : La Psychologie Positive / Volet 2 (page 28) 


Notre capacité à être heureux dépendrait à 40 % de nous-même
Sommes-nous faits pour aller bien ?


Face aux difficultés, nous devenons grognons, égoïstes ou bagarreurs. Mais, bonne nouvelle, l’évolution nous incite aussi à être positifs. 
Texte Frederika Van Ingen Illustrations Emmanuelle  Houdart 

Cultiver des émotions agréables, se sentir confiant, en soi, en l’autre et en l’avenir, être altruiste…  Voici quelques ingrédients de base pour être heureux, confirmés par la psychologie positive. Nous  savons tous intuitivement que ces états favorisent le bien-être,  alors pourquoi est-ce si difficile de les  développer au quotidien ?

D’abord, sommes-nous tous égaux devant la capacité à cultiver ces états  positifs ? 

Plusieurs études réalisées notamment sur de vrais et faux jumeaux ont déterminé la part des  gènes dans notre capacité à être heureux. Résultat : nous l’héritons à 50 %. Et parmi les 50 % restants, 10 % dépendent de conditions extérieures (famille, travail, argent, etc.) et 40 % dépendent uniquement  e nous-même. Donc, même si notre « capital génétique bonheur » de base est faible, rien  ne nous empêche d’optimiser ces 40 %.

 Qu’est-ce qu’on attend alors pour être heureux ?

 « De mieux connaître le fonctionnement de notre cerveau et de ce que nous avons hérité de l’évolution », répond le  médecin et psychothérapeute Thierry Janssen. Exemple. Vous attendez dans une file pour acheter  votre pain et un individu se faufile devant vous. L’événement a duré deux secondes et vous en a fait  perdre trente au maximum : pas de quoi fouetter un chat. Pourtant, vous voilà agacé, en colère.  Souffrez-vous d’une propension à cultiver le négatif ? Pas forcément. « Face à une difficulté, nous  avons tendance  à réagir par des émotions désagréables, par une pensée négative, explique Thierry  Janssen. C’est un premier réflexe de survie. » En fait, si notre première réaction est souvent négative, c’est pour mieux réagir dans l’instant. La peur ou la colère augmentent notre rythme cardiaque, nos  sécrétions hormonales, etc. Cette « négativité » immédiate constitue un avantage évolutif : elle a  permis à nos ancêtres de réagir et de prendre la fuite ou de combattre devant un danger. Les médecins  qui sont de bonne humeur posent de meilleurs diagnostics.

Aujourd’hui, les émotions négatives peuvent aussi avoir du bon : « La colère, par exemple, nous dit que quelque chose ne va pas. Il faut  l’écouter. Mais si nous l’exprimons de façon agressive, elle devient négative. Le problème survient si  nous restons “coincés” dans l’état de celui qui subit l’émotion désagréable. » Ainsi, si vous ressortez  de la boulangerie en ressassant ce que vous venez de vivre et qu’on vous appelle pour annuler un  rendez-vous,  vous pouvez mal accueillir cette nouvelle, voire reporter votre colère sur votre  interlocuteur. « Il faut se rappeler que l’évolution nous a programmés pour que les émotions négatives  aient la priorité pour sauver notre peau, rappelle le psychiatre Christophe André, et que les émotions  positives viennent ultérieurement. »

Et à quoi servent-elles, justement, ces émotions positives ? 

C’est  la question que s’est posée Barbara Fredrickson, professeur de psychologie à l’Université de Caroline  du Nord. L’une de ses études consistait à montrer à des personnes des films destinés à provoquer chez  eux des émotions positives, négatives ou neutres, puis à leur demander d’envisager des scénarios de ce qu’ils allaient faire. Résultat : ceux qui avaient ressenti des émotions positives proposaient une  palette plus large de possibilités.

Une autre étude, de l’Université de Cornell, a montré que des  médecins de bonne humeur, plus enclins à l’écoute, posaient de meilleurs diagnostics. Des conclusions aujourd’hui confirmées : on sait que les émotions positives favorisent la créativité, la réceptivité aux nouvelles informations, la résolution de problèmes, et une attitude plus ouverte aux  autres et plus confiante. De même, la capacité à être optimiste ou pessimiste est aussi liée à notre  évolution. Le pessimisme peut être profitable face à des dangers vitaux, pour mobiliser nos ressources ou pour éviter de trop grandes déceptions. Cependant, des études ont montré que l’optimisme permet  de gérer plus lucidement les situations difficiles. Idem pour les émotions positives : « Elles élargissent  le répertoire des pensées et des actions de l’individu, pour lui permettre de construire des ressources pour sa survie à long terme », conclut Barbara Fredrickson. Autrement dit, passée l’alerte de notre  première réaction négative, les émotions positives et les réactions hormonales qui les accompagnent aident notre cerveau à être plus inventif pour construire l’avenir. « A cause de cette première réaction  instinctive, la plupart des humains savent très bien ressentir de la colère, de la peur, de la tristesse, etc., précise Christophe  André. Mais à l’inverse, il est souvent nécessaire de faire l’effort de cultiver des émotions positives, si  l’on souhaite un équilibre. » Un équilibre mis en équation par Barbara Fredrickson : pour parvenir à  un épanouissement psychologique et social, il faut trois émotions positives pour contrebalancer une émotion négative.

La clé de voûte du système ? Le plaisir. Comme l’a montré le psychologue américain David Buss, c’est le plaisir qui nous guide dans les actions essentielles à notre survie et à  celle de notre espèce : manger, faire l’amour, élever ses enfants, apprécier le chaud quand il fait froid  dehors, etc.

Les neurosciences ont d’ailleurs identifié dans notre cerveau des « centres de la  récompense », activés par ces actions, qui enclenchent des réactions hormonales responsables de la sensation de bien-être. Cependant, cet outil de survie a ses limites : il ne dure pas. Pour la simple raison que, si notre plaisir ne mollissait pas, nous resterions bloqués dans cet état de béatitude et nous n’aurions pas l’énergie nécessaire pour retourner aux tâches essentielles qui assurent notre subsistance. D’où un autre phénomène que les psychologues positifs appellent l’"adaptation hédonique"   : nous nous habituons au plaisir. « C’est vrai aussi pour le déplaisir, sans quoi nous n’aurions pas non plus l’énergie pour remonter la pente en cas de grave problème, à ceci près que nous  ous adaptons plus vite aux changements positifs qu’aux changements négatifs », précise Thierry  Janssen.

 Pourquoi ? Le fait de rester en souffrance longtemps nous rendrait plus attentifs à éviter de  rencontrer de nouveau une situation qui prolongerait cette souffrance. A l’inverse, nous habituer  rapidement au plaisir nous oblige à chercher de nouvelles sources, autrement dit à imaginer, innover et  progresser.
« Le danger, dans notre société hédonique, c’est que nous pouvons être emportés dans  une quête de plaisir sans fin, prévient Thierry Janssen. Et, si on n’y prend pas garde, de n’être jamais satisfait. D’où la nécessité impérieuse d’apprendre à savourer le plaisir. »

Heureusement, l’évolution nous a donné un antidote : la capacité à nous projeter dans le futur, qui permet de supporter la  frustration immédiate induite par l’atténuation du plaisir. En allant de pair avec cette conscience du  futur est apparu le besoin de donner un sens à nos actions. Plaisir et sens : ce sont deux besoins  humains essentiels qu’il nous faut satisfaire pour atteindre le « bonheur authentique » défini par  Martin Seligman, l’un des pères de la psychologie positive, à la suite de ses enquêtes. Au côté de la  notion d’engagement, c’est-à-dire la capacité à se plonger pleinement dans des activités qui absorbent totalement l’attention (qualifiée aussi d’« expérience optimale » par le psychologue Mihaly  Csikszentmihalyi), ce sont les trois voies essentielles qui rendent les gens heureux.

Parmi les  expériences qui peuvent satisfaire ces trois voies, Seligman a identifié une : l’altruisme. Dans une  expérience baptisée « Philanthropie contre plaisir », il a même prouvé que participer à une action  philanthropique apporte un plaisir plus durable que de satisfaire un désir immédiat. De là à en  conclure que l’homme est construit pour être bon et altruiste, il n’y a qu’un pas… que la psychologie  positive franchit sans hésiter. « Dans le cerveau, tout comme nous avons des centres de la récompense  », explique Jacques Lecomte, chargé de cours à l’université Paris- Ouest-Nanterre-La Défense et auteur de la Bonté humaine (à paraître), « nous avons aussi des “centres de l’aversion”, qui sont activés face au dégoût, qu’il soit physique ou moral. Or des études ont montré que, si l’on demande à  des gens de fonctionner de manière coopérative, les centres de la récompense sont activés. A l’inverse, en situation de compétition, ce sont les centres de l’aversion qui s’activent. Cela signifie que  notre cerveau aime la coopération, pas la compétition. Nous sommes donc prédisposés à être bons et  altruistes. Prédisposés, mais pas prédestinés, car même si cela correspond mieux à la nature humaine d’être coopératif, on a toute liberté d’être compétitif. »

Autre grande découverte des neurosciences qui  abonde dans le sens de notre altruisme : les neurones miroirs. Lorsque nous regardons une personne  agir, dans notre cerveau, les mêmes neurones s’activent que chez elle, de manière un peu moins forte.  Aussi, lorsque nous regardons quelqu’un qui souffre, nous avons l’impression de ressentir sa douleur,  parce que les mêmes neurones s’activent dans notre cerveau. « Nous sommes donc construits pour être empathiques, analyse Jacques Lecomte. Cela ne signifie pas qu’on l’est automatiquement, car de  la même manière que l’idée d’un déterminisme de la violence et de l’égoïsme humain est fausse, il n’y a  pas non plus de déterminisme de la bonté. Juste une propension plus importante à la bonté, mais  la biologie ne détermine pas l’être humain. » Une propension particulièrement visible face aux  situations de catastrophe. « Des centaines de catastrophes naturelles et technologiques ont été étudiées par des sociologues. Et, alors qu’on pourrait imaginer que c’est “chacun sa peau”, c’est en fait la solidarité qui domine », ajoute Jacques Lecomte.

Nous sommes prédisposés à être sensibles à la  souffrance d’autrui. L’exemple de l’ouragan Katrina à la Nouvelle-Orléans en 2005 est parlant. Juste  après son passage, les médias parlent de scènes de pillages, de viols, de meurtres. Le gouvernement  Bush envoie plus de 70 000 soldats dans cette ville déclarée « zone de guerre ». Quelques semaines plus tard, quand la ville redevient accessible, les journalistes cherchent des témoins de cette  sauvagerie. En vain. En réalité, les scènes qualifiées de pillage sont le fait de groupes spontanément organisés, qui ont bien « volé » bateaux, couvertures et aliments, mais pour porter secours aux  populations. Les médias ont dû faire leur mea culpa, le chef de la police a démissionné, et en 2006, une commission de la Chambre des représentants a rétabli la vérité : pas de violence ou très peu dans la population, mais une  incroyable solidarité. « Si on prend la peine de regarder, on s’aperçoit que de tels exemples sont nombreux. Tout cela a une base neurobiologique, conclut Jacques Lecomte. Nous sommes prédisposés à être sensibles à la souffrance d’autrui, et y répondre positivement nous apporte du plaisir.

Les  neurosciences et les sciences humaines le prouvent : le plus grand bonheur qu’on puisse avoir, c’est de rendre les gens heureux. »


Références / Livres
- « Introduction à la psychologie positive »,  Jacques Lecomte, éditions Dunod.
- « La Bonté humaine », Jacques Lecomte, éditions Odile Jacob. K
- « Les Etats d’âme », Christophe André, éditions Odile Jacob.       

Retrouvez l'original de l'article en numérique sur le site www.psychologue-montpellier.fr

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